Joseph Kabila a foulé le sol congolais ce vendredi 18 avril, après un séjour de plus d’une année dans différents pays d’Afrique australe. Entré par la ville de Goma, sous contrôle de l’AFC/M23, le président honoraire de la RDC affirme revenir au pays pour contribuer à la restauration de la paix.
Alors que chacun interprète à sa guise ce retour, votre média s’étend sur l’influence que pourrait avoir le retour du « Raïs » pour une pacification imminente de la zone est du pays. En cette période où les violons ne semblent pas s’accorder et où la méfiance ne cesse de s’exacerber entre les parties en conflit, quelle pourrait être l’ampleur de la contribution de l’homme de Kingakati ? Son aura, son ancrage diplomatique, son leadership et surtout ses éminentes compétences en matière de gestion des crises similaires seront-ils en mesure de conduire à une désescalade du climat de tension que traverse le pays ?
Arrivé au pouvoir à seulement 29 ans, Joseph Kabila a fait face à un défi inversement proportionnel à sa jeunesse et surtout à son inexpérience : il héritait d’un pays complètement déchiré par une ribambelle de groupes armés, parmi lesquels certains jouissaient d’un appui international.
En 2001, alors qu’il succédait à son père Laurent-Désiré Kabila, récemment assassiné par sa garde, il contrôlait moins de 30 % du territoire national. Tant au Nord, au Centre qu’à l’Est du pays, Joseph Kabila n’avait aucune influence durant ses premières années de règne.
À l’époque, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD/Goma) était maître du jeu dans la partie est du pays, tandis que le Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) régnait en maître absolu sur le Nord. Le jeune occupant du luxueux palais de la nation se contentait donc d’une emprise restreinte aux provinces proches de la capitale Kinshasa, avec une infime extension au Katanga et dans l’espace Kasaï.
Contre toute attente, Joseph Kabila réussira à rallier les différentes factions pour réunifier un pays qui semblait aux bords de l’implosion. Ceci sera, selon plusieurs analyses, interprété comme un coup de génie contre la balkanisation de la République Démocratique du Congo.
Condamné à la cogestion avec ses protagonistes, Kabila fils conduisit les Congolais au premier processus électoral démocratique, sous un format de gouvernance atypique. À la tête d’un collège de présidents réunissant quatre vice-présidents issus des forces rebelles les plus remarquables, il parvint à instaurer une dynamique de collaboration. Pour le compte du RCD, Azarias Ruberwa fera partie du collège, tandis que Jean-Pierre Bemba Gombo représentera le MLC. De son côté, l’opposition non armée sera représentée par le professeur Arthur Zaidi Ngoma, et Yerodia Abdoulaye Ndombasi complétera l’équipe pour le compte du gouvernement de Kinshasa.
Par cette voie, les ennemis d’hier deviennent de facto des partenaires de gestion de Joseph Kabila. Cette astuce lui permettra de rassembler les Congolais autour d’un destin commun, ce qui a fait de lui le père de la réunification du pays, selon ses adeptes.
Il composera avec un gouvernement de large union nationale et une armée réunissant des éléments issus de tous les mouvements rebelles actifs à l’époque, jusqu’à l’organisation du premier scrutin en 2006.
Après ce début tumultueux, Joseph Kabila a connu un séjour similaire à son entrée au sommet de l’État et aura défié plusieurs tentatives de crise. Pendant son record de longévité comme chef de l’État, il a su contenir différentes vagues de déstabilisation, en alternant dialogue et action militaire. Au cœur de son mythique règne, on retiendra une politique d’intégration exceptionnelle, ce qui rendait illégitime tout soulèvement à caractère tribalo-ethnique. D’aucuns, parmi ses proches, diront qu’ils célébraient son caractère républicain en scandant que « le Raïs n’a pas de base régionale. Sa base, c’est tout le Congo ».
N’ayant ni famille politique ni tendance régionale privilégiée, Joseph Kabila a passé près de deux décennies dans le firmament de la gestion, loin de toute influence. Élu par deux fois de suite comme président de la République, il s’est toujours représenté comme un candidat indépendant.
Au terme de ses deux mandats constitutionnels, Kabila quittera le pouvoir sous le coup des murmures de la part de ses adversaires politiques. L’alternance au sommet de l’État, prévue en 2016, surviendra plutôt en 2018. Néanmoins, il fera preuve de bonne foi en cédant le pouvoir à l’un de ses adversaires les plus virulents. Le président Félix Tshisekedi, issu de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), lui succédera à la suite d’un processus démocratique.
Alors qu’il avait laissé le pays en un seul morceau, contrairement à l’état où il l’avait trouvé, Joseph Kabila rentre dans le débat six ans plus tard, face au défi de ses premières années. Il n’a fallu que deux années à son successeur pour montrer ses limites dans la gestion des conflits chroniques du pays : en 2021, le M23 a fait résurgence, avant de prendre l’ampleur qu’il a à ce jour. À ce jour, au travers de la plateforme Alliance Fleuve Congo, il occupe d’énormes agglomérations du Kivu, parmi lesquelles la ville de Goma et celle de Bukavu.
Si son absence s’est avérée très remarquable, le retour de Joseph Kabila l’a été tout autant. Des nostalgiques ont cru, à tort ou à raison, que la présente crise nécessite les atouts dont il a fait montre par le passé pour son dénouement. Néanmoins, son retour divise déjà l’opinion politique à l’échelle nationale. Si pour la coalition au pouvoir, celle de son successeur Félix Tshisekedi, Joseph Kabila serait de mèche avec les rebelles de l’AFC-M23, une autre opinion le prend toujours pour le point d’ancrage de la désescalade.
Arrivé par une porte inattendue, la ville de Goma sous contrôle de la rébellion, Kabila semble avoir ouvert une brèche à des échanges cordiaux avec l’AFC. Ce qui l’éloignera sans doute davantage du camp du président Tshisekedi.
Toutefois, il reste évident que son aura favorisera un rapprochement plus tactile entre les parties opposées, et plus que jamais, une solution politique semble prendre forme.
Qu’importe les opinions qu’adopteraient les uns et les autres à son égard, Joseph Kabila reste un acteur de premier plan dans la vie politique du Congo. Fin connaisseur de la géopolitique de la sous-région des Grands Lacs, l’homme qui a géré l’interminable crise politique de la RDC pendant 18 ans pourrait toujours disposer d’ingrédients secrets pour le retour de l’apaisement en cette période.
Son retour sur la scène ne pourrait donc pas être pris pour un fait divers.
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